La collection de dessins de Jean-Honoré Fragonard (1732–1806) du Louvre est une des plus belles et équilibrées qui soit. Elle donne un aperçu, du début à la fin de la carrière, dans ses différentes techniques, dans la variété des sujets, de l’acharnement joyeux et de l’espièglerie feinte d’un des artistes français les plus populaires et les plus méconnus. Fragonard y apparaît tour à tour, comme le scrupuleux observateur de la nature, figure humaine ou paysage, le créateur de compositions religieuses d’une grave émotion ou de scènes d’intérieur au charme plus frivole, l’illustrateur de l’Arioste ou de Cervantès, d’une invention et d’une liberté tempétueuses. Il est aussi l’un des interprètes les plus attentifs et les plus enjoués des œuvres du passé, et la collection du Louvre permet de bien étudier cet aspect essentiel, notamment grâce à plusieurs copies spectaculaires et très personnelles d’après Rubens et Jordaens. Il sait renouveler avec verve et conviction les moyens graphiques, pierre noire menue et vibrante, sanguine hachée et bondissante, plume dansante, lavis torrentueux ou délicat. Toujours souriant, toujours plus sérieux qu’il ne paraît, Fragonard est à coup sûr après Watteau, cinquante ans après lui, le plus éblouissant dessinateur français du XVIIIe siècle. Jean-Pierre Cuzin